Flashmag! Issue 136 December 2022 Flashmag! Issue 136 December 2022 Flashmag! Numéro 136 | Page 26

Pendant plus de quinze ans , les disques de " la danseuse aux reins de roseau " s ’ enchaînent à une fréquence élevée . En 1995 , elle est à New York avec Cubains et Portoricains , sous la direction du Malien Boncana Maiga ( ex-Maravillas de Mali ) ; l ’ année suivante , elle s ’ o re un Duo pour l ’ éternité avec Papa Wemba , à l ’ initiative du Congolais Bibi Den ’ s avec lequel elle avait enregistré lors de leurs années communes à Abidjan . Les tournées aussi se multiplient , en particulier sur le continent africain : du Burkina Faso avec lequel elle a des liens étroits depuis l ’ invitation de Thomas Sankara en 1986 au Togo , du Sénégal à l ’ Angola , en passant par le Malawi où elle est victime d ’ un grave accident de la route en 1996 . Si son rôle dans le rayonnement de la culture luba lui vaut d ’ être mise à l ’ honneur par les chefs coutumiers du Kasaï en 1991 , celle que l ’ on surnomme la Reine du mutuashi s ’ engage dans une direction plus politique afin de soutenir Laurent-Désiré Kabila lorsqu ’ il accède au pouvoir en 1997 . Elle revient vivre en République démocratique du Congo , devient députée de l ’ assemblée constituante , puis préside la Ligue des femmes du parti de Joseph Kabila , qui succède à son père à la tête du pays en 2001 . La quadragénaire n ’ hésite pas à faire campagne en musique pour son protégé lors des élections suivantes , se mettant à dos une partie de l ’ opposition . Son arrestation en 2020 pour sa chanson Ingratitude n ’ y est certainement pas étrangère : le nouvel homme fort , Félix Tshisekedi , ancien adversaire de Kabila , aurait mal apprécié les paroles d ’ une chanson qu ’ il croyait lui être adressée , ce que son autrice a démenti après avoir passé une nuit dans les locaux de l ’ Agence nationale de renseignements ! Récompensée à plusieurs reprises , notamment lors des Kora Awards en Afrique du Sud en 2003 et des Kunde au Burkina Faso en 2010 , la " Mamu nationale " (" Maman nationale "), comme elle avait intitulé un de ses derniers albums en 2005 , bénéficiait toujours d ’ une popularité indéniable dans son pays . " Sa musique est omniprésente . Dans toutes les soirées encore aujourd ’ hui , si ses chansons ne sont pas jouées , la fête n ’ est pas complète ", souligne le prometteur chanteur Francesco Nchikala , basé à Lubumbashi .

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" Son répertoire est une bibliothèque qui nous sert à travailler les styles traditionnels ", poursuit le trentenaire , conscient de la valeur culturelle de l ’ héritage laissé par Tshala Muana qui transcende les générations .
« Elle nous a tous fait danser un mutuashi sublimé par les rythmes chauds d ’ aujourd ’ hui , poursuit Yoka Lye . Les personnes étrangères comme moi à cette région ne comprenaient pas toujours ses chansons en tshiluba , mais le rythme était si entraînant et si nouveau dans l ’ ensemble de la tradition rumba que nous avons finalement été tous conquis . Désormais , grâce à Tshala Muana , nul n ’ échappe au mutuashi : je ne connais personne qui ne le danse au Congo ; et personne , sur le continent , qui n ’ ait trépigné en écoutant des titres phares tels Malu , Nasi Nabali ( Je me marie , un classique des cérémonies de mariage ), deux des titres les plus envoûtants , même si toutes les chansons de Tshala Muana sont électrisées par le très remuant mutuashi .» Des puristes lui ont parfois reproché d ’ avoir dévoyé le mutuashi en occultant quelques phases essentielles de cette danse particulièrement codifiée , pour ne s ’ attacher qu ’ à la phase suggestive , tout en coups de reins et de hanches . Procès injuste , plaide André Yoka Lye . « La structure du mutuashi est la même que celle de la rumba : une première partie , soft , qui , soudain , se transforme en une envolée endiablée requérant beaucoup d ’ énergie . C ’ est dans l ’ euphorie et la folie de la fête que cette partie – la plus populaire de la danse – prend le dessus . Nul ne peut contester à Tshala Muana d ’ avoir déployé des trésors d ’ énergie pour populariser le mutuashi tout en le valorisant . » Mais Tshala Muana a fait bien plus : gardienne incontestée des traditions , elle est parvenue à rendre tendance ce retour aux sources en installant le folklore luba non seulement dans la très cosmopolite Kinshasa et dans un Congo riche de 80 langues nationales et d ’ une multitude de dialectes , mais aussi dans toute l ’ Afrique . Pour Yoka Lye , le talent , la respectabilité et l ’ accessibilité de Tshala Muana en ont fait un être à part , adulé par tous , et dont la musique s ’ est imposée d ’ ellemême dans toutes les couches sociales .