Flashmag Digizine Edition Issue 85 September 2018 | Page 22

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les grands argentiers du cinéma ? Tant que le scenario est préservé, je ne vois aucune objection à travailler avec un budget, bien au contraire ! Certes l’autoproduction est le meilleur moyen d’avoir une totale liberté de propos et artistique. Aujourd’hui le crowfunding est aussi un moyen qui aide les autoproductions. Mais il est évident, à mon sens, que passé un certain budget financier, le recours à une production – qui en plus devrait pouvoir vous aider ensuite pour la diffusion – est la solution idéale.

Un artiste Jamaïcain que nous avons reçu il ya quelques années disait qu’entre l’art et l’argent, c’est l’argent qui souvent a tendance à dicter les rapports . Changeriez-vous un de vos scenario, pour plaire au desiratum des argentiers ?

Ah… je comprends mieux l’adjectif « limité » de votre précédente question ! (rires) Foncièrement je ne suis pas contre les échanges, les discussions, les corrections et adaptations à la condition sine qua none que le propos du scénario ne soit pas changé. Effectivement l’argent dicte beaucoup… Mais hors de question pour ma part que le fond d’un scénario et le message qu’il défend soient dénaturés pour une question de gros sous. Pour le reste, tout se discute…

La polémique à Cannes cet été fut cet ouvrage Noire n’est pas mon métier . Pensez-vous qu’il y ait des chances que l’on ne désigne plus certains rôles exclusivement pour les noirs ? Si on aurait quand même du mal à faire jouer le rôle d’un marabout africain à un blanc, La problématique selon certains ne se trouve pas au niveau des scenarios, qui souvent doivent se rapprocher de la réalité mais simplement au niveau de l’idée que véhicule certains scenarii, d’où la notion de cliché péjoratif. Et s’il ya tant de clichés péjoratifs, certains concluent que c’est du racisme. Y a-t-il une chance que l’art se « dé racialise » en occident et que doit être l’attitude des professionnels de l’écran car d’aucuns estiment qu’ils veulent travailler et alors acceptent des rôles fussent-ils dégradant pour leur communauté?

C’est une vaste question. Ce livre « Noire n’est

pas mon métier » a eu le mérite de mettre en lumière ce que beaucoup d’entre nous – comédienne Noire ou métisse – avons vécu ou vivons encore… Comme j’ai pu l’exprimer à certaines de ses auteures lors du lancement du livre, ce fut à la fois un soulagement de voir que je n’étais pas seule dans ce cas (j’en aurais des anecdotes à raconter sur le sujet, de quoi aisément ajouter une dizaine de pages à ce livre !), et à la fois très violent de se rendre compte qu’en 2018 nous en sommes encore là. Ne nous leurrons pas, la plupart des rôles qui me sont proposés sont effectivement l’infirmière, la nourrice, la prostituée, la délinquante ou… la migrante. Alors aucun souci pour interpréter ces rôles qui en soi ne sont pas dévalorisants à condition qu’il y ait un véritable propos à défendre et non pas lorsqu’il s’agit d’un traitement stéréotypé comme la plupart du temps !

Alors oui il y a une forme de racisme, souvent inconscient, insidieux mais persistant… Ou s’il ne s’agit pas de racisme, tout du moins il y a une sorte de consensus collectif établi et inconscient selon lequel la norme et l’universalité seraient de couleur blanche… Pour qu’il y ait une chance que cela change, il faudrait qu’il y ait une réelle volonté concrétisée. Or dernièrement par exemple, nous avons appris que France O, la chaîne dédiée aux outremers, allait être supprimée… Car « il faut que les ultra-marins apparaissent dans le paysage audiovisuel classique au même titre que tous les Français ». Sur le papier, c’est très chouette. Dans les faits je m’interroge. On a du mal ne serait-ce que dans les fictions à voir des Noirs dans des rôles non clichés…

Donc l’attitude des professionnels serait tout simplement de donner ce droit à la normalité aux personnages Noirs. Il y a des médecins Noirs, des magistrats Noirs, des vendeurs Noirs dans la vie… Pourquoi ne sont-ils pas sur les écrans ?

Mais bon, je pense que le livre « Noire n’est pas mon métier » a permis une prise de conscience et j’espère qu’il fera bouger les lignes. En tout cas je reste optimiste ! D’ailleurs les deux derniers rôles pour lesquelles j’ai été castée sont ceux d’une avocate et d’une proviseure ! On progresse !