Flashmag Digizine Edition Issue 113 January 2021 | Page 22

Métisse ou zoréole plus précisément c'est à dire née d'une mère auvergnate et d'un père réunionnais comment est-ce que cette dualité, si vous l’entendez de la sorte, a influencé l’artiste que vous êtes ?

Bien qu'assez claire de peau, j'ai une chevelure ou crinière qui ne trompe pas.

J'ai fait de ce métissage une grande richesse. Chez nous on ne parlait pas de descendance d'esclaves, comme dans beaucoup de familles c'est un sujet douloureux, une honte ou encore du passé...Je résume très rapidement parce que c'est bien plus complexe.

Je sens les volcans vibrer en moi ceux de la Réunion et ceux de l’Auvergne.

Être métisse c'est n'être ni blanche ni noire donc pas évident de savoir où se situer mais quelle fierté ! Du coup je me sens universelle. Cela m'a rendue forte dans mon art parce que j'ai choisi de me créer une place, ma place -celle qui raconte au-delà des frontières.

Vos racines et leur histoire trouble des derniers siècles dont l’esclavage, la colonisation, bref la condition de la gente noire vous intéresse au plus haut degré elle focalise pratiquement toute votre création ; ces visages saisissant que vous sortez de vos ateliers d’où vous viennent-ils ?

Vous pouvez dire toute ma création entière. Je vais sûrement vous surprendre...Elle vient de mes rêves, certainement influencés par de nombreuses lectures(afin de ne pas faire d'anachronisme). Lorsque j'ai compris que beaucoup de brides d'histoires d'esclaves me venaient en rêve j'ai voulu trouver une solution pour m'en rappeler. Attention je ne dis pas que les ancêtres me parlent à travers eux, je n'ai pas cette prétention (même si je leur parle toute la journée,, que je leur allume une bougie je n'ai jamais de réponses-rires). Lorsque sur plusieurs rêves je « connais »le personnage que je veux sculpter , je prends la terre et modèle directement, aucune prise de note, maquettes, croquis et jamais de modèles. Mes doigts et ma mémoire me guident. C'est assez bouleversant, certains qualifient ma création de mystique, je n'irai pas jusque-là.

Donc je ne travaille qu'à partir d'eux.

Un de mes confrères disait de vous que vous sculptez des vies volées qu’espérez-vous en montrant ce qu’a été la condition de ces hommes et femmes d’Afrique, qui furent réduits à la servitude ?

Vous savez je fais ce que j'ai à faire, ces rêves arrivent mes doigts mettent en réalité. C'est bouleversant en fait, vraiment. Il ne s'agit plus juste d'un métier ou d'une passion mais d'un réel engagement humain auquel je consacre ma vie. Il ne s'agit pas de réparation puisque je ne peux redonner vie à aucun de ces ancêtre arraché à sa terre mais ce que je peux faire c'est le sortir de l'oubli. Lui rendre hommage puisqu'à l’intérieur de chacune de mes sculpture j'inscris un message de dignité dans la terre même. Toute ma création s'appelle « Vies volées » c'est moi qui la définit ainsi.

Le passé reste présent dans le futur, en alors que l’on entame la 3e décade du 21e siècle on a l’impression que rien que les apparences semblent avoir changées, tant les batailles de reconnaissance et je dirais d’intégration ou plutôt de respect équitable de la femme et de l’homme d’ascendance africaine continue de faire des vagues. Pensez-vous projeter dans le présent et le futur vos œuvres, car on a souvent fait le reproche aux cinéastes de l’esclavage par exemple, de vivre dans le passé et d’oublier un peu le vécu quotidien qui n’est pas toujours des plus reluisants, car en même temps il faut aussi raconter l’histoire de notre époque ?

Mes sculptures disent un passé, mais aussi un présent. 46 millions d'esclaves recensés dans le monde en 2020. Bien sûr me direz-vous, tout esclavage confondu. Certes. Mais comment fermer les yeux quand en Lybie des humains sont vendus chaînés par les pieds pendus comme des poulets? Pour ne prendre que cet exemple.

Je raconte sans haine, je mets le doigt dessus,et pardon à tous les afro-descendants (dont je fais partie) de mettre en avant les souffrances et les humiliations, je comprends que cela soit insupportables,mais ce monde ne change pas! Les jeunes générations ne savent pour la plupart pas ce qui est arrivé à leurs ancêtres et que c'est de là que découle le racisme dont ils sont victimes.

Je raconte malheureusement l'histoire de notre époque, quand la plupart de mes amis se font encore traiter de nègres, lyncher dès leur plus jeune âge je raconte une réalité qui donne envie de vomir, mais je n'encourage jamais à la violence, d'ailleurs l'art est une façon de militer sans armes.

Dans la même logique si l’esclavage a été un véritable cataclysme pour l’Afrique et ses habitants dont la diaspora a été dispersée dans les 4 coins du monde, beaucoup estiment qu’il faille aussi parler d’une certaine grandeur qu’auront connu les africains avant la décadence de la Maafa (catastrophe de l’esclavage) peut-on espérer qu’un jour Sandrine fera des sculp- sculptures de rois et reines d’Afrique ?

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Photo Christa Evenell

Make Up: Felix Muller